Équipe littérature et culture italiennes
Projet quinquennal 2024-2029
“Formes de vie”: esthétique, subjectivité et pouvoir dans la culture et la littérature italiennes du Moyen Âge à l’époque contemporaine
- Trajectoire de l’Unité
La trajectoire de l’unité s’inscrit dans la continuité du projet mis en œuvre au cours du quinquennal écoulé axé sur les rapports entre arts et formes de pouvoir dans la culture italienne. Le défi que s’était lancé notre Unité en proposant un projet qui ouvrait les Etudes italiennes tant sur le plan méthodologique qu’épistémologique s’est avéré très stimulant pour les membres de l’équipe et a produit des résultats particulièrement novateurs qui ont été salués par la communauté scientifique. Il s’agit donc de poursuivre dans cette voie et de former de jeunes chercheurs pour faire advenir une recherche d’excellence et d’innovation. De plus, on ne peut ignorer l’impact qu’a eu la pandémie sur le développement de certains projets et la poursuite des travaux prend en compte cet élément non négligeable. L’ambition de l’ELCI demeure inchangée : créer les conditions pour qu’une recherche d’excellence puisse s’exprimer tant dans les travaux des chercheuses et des chercheurs confirmés que dans la formation des jeunes. L’attractivité de l’Unité pour des dizaines de jeunes chercheuses et chercheurs qui l’ont choisie comme lieu de formation et de libre expression scientifique nous encourage à poursuivre et à développer la politique de recherche entreprise. Celle-ci vise à offrir aux chercheuses et chercheurs de l’ELCI la possibilité de s’insérer dans des réseaux internationaux d’excellence soit par le biais de programmes de recherche financés (projets européens etc.) soit par la réponse à des programmes locaux et nationaux (projets « Emergence », ANR). Elle consiste aussi à encourager la publication dans des revues nationales et internationales et chez des éditeurs scientifiques qui constituent une référence pour les domaines de recherche de l’ELCI. Les collaborations internationales sont indéniablement un des marqueurs forts de la politique de l’ELCI tant dans l’organisation de manifestations scientifiques que dans la publication de volumes collectifs, qu’il s’agisse des jeunes chercheurs ou des chercheurs confirmés. Les résultats obtenus dans les différents axes de l’Unité ont prouvé le caractère moteur du projet commun. Le séminaire général de l’équipe a prolongé cet élan, offrant un espace de confrontation autour des travaux individuels et collectifs et l’occasion de conforter l’ouverture interdisciplinaire de la recherche par l’invitation de spécialistes d’autres disciplines (historiens, philosophes, politologues, comparatistes).
La précédente évaluation avait suggéré un renforcement « des liens […] avec des collectivités locales, des institutions et des organismes publics et privés, agissant notamment dans les domaines artistique et culturel mais ayant des retombées sociales et économiques ». Ce renforcement a été opéré et l’UR compte poursuivre dans cette voie.
Dans le précédent rapport l’Unité avait précisé, parmi ses objectifs et enjeux, l’introduction, d’un nouvel axe consacré au Moyen-Âge à la suite du recrutement de M. Manuele Gragnolati, professeur de littérature médiévale. La création de cet axe a permis un élargissement du champ de recherche de l’Unité et son rayonnement dans un domaine de moins en moins représenté dans l’italianisme français. Cet axe a permis de structurer les activités liées au Moyen-Âge et la création d’un séminaire inter-universitaire, le DanteLab@Sorbonne-universite, ouvert à de jeunes chercheuses et chercheurs et à des spécialistes confirmés qui se propose d’encourager une approche novatrice et interdisciplinaire de l’œuvre de Dante, dans un esprit d’ouverture aux recherches internationales actuellement conduites sur le poète. L’interdisciplinarité était aussi un enjeu important du projet commun. Si l’Unité s’appuie toujours sur des travaux fondamentaux en histoire de la littérature, en analyse et éditions de textes, du Moyen-Âge à l’époque contemporaine, l’attention portée au croisement des savoirs et à l’émergence de nouvelles problématiques notamment en matière d’humanités numériques, de sémiotique et, plus récemment, d’humanités médicales a été constante. Le recrutement, en 2018, de M. Paolo Desogus, spécialiste de sémiotique et d’études cinématographiques et, en 2022, de Marguerite Bordry spécialiste d’humanités numériques nous ont permis d’asseoir cette ouverture interdisciplinaire qui est un marqueur fort de l’identité scientifique de notre Unité.
- Formes de déviation : subjectivité, textualité et critique – (dir. Manuele Gragnolati)
L’objectif de cet axe était de se pencher sur la figure de la déviation et sur les formes différentes qu’elle peut prendre ainsi que sur son potentiel critique par rapport au pouvoir. Il s’agissait notamment de comprendre comment la littérature et l’art ouvrent un espace privilégié pour l’articulation de subjectivités marginales et critiques, quelles sont les formes textuelles et les poétiques spécifiques auxquelles donne lieu cette articulation, et dans quelle mesure des approches critiques permettant de mettre en évidence ces déviations peuvent aussi correspondre à des formes de vie.
Thématiquement, cet axe s’est concentré sur le Moyen Âge, en particulier l’œuvre vernaculaire de Dante et Pétrarque, mais aussi la poésie lyrique en général et le désir qu’elle véhicule. Du point de vue méthodologique, la littérature et la culture médiévale ont été explorées à partir de préoccupations et de questions qui sont pertinentes dans le présent et en dialogue avec la théorie critique contemporaine. Nous avons aussi cherché à établir plusieurs collaborations internationales et interdisciplinaires et à expérimenter des formes nouvelles d’écriture et de pensée critiques. Une activité importante pour développer des idées de manière inclusive et expérimentale a été la création et l’animation, à partir de 2018, du DanteLAB@Sorbonne_Université, un séminaire qui réunit des étudiant.e.s, des jeunes chercheuses et chercheurs et des spécialistes confirmés et qui se propose d’encourager une approche novatrice et interdisciplinaire de l’œuvre de Dante, dans un esprit d’ouverture aux recherches internationales actuellement conduites sur le poète. Des journées d’études internationales ont été organisées, en collaboration avec la Sorbonne Nouvelle, en croisant le thème de la question médiévale de l’agrégation d’italien avec les enjeux scientifiques de notre équipe, par exemple Aimer on ne pas aimer : une question, deux textes. Boccace, « Elegia di madone Fiammetta » et « Corbaccio », qui donna ensuite lieu à la publication d’un volume portant le même titre. Des thèses de doctorat ont également été rédigées, et d’autres étant actuellement en préparation. Il s’agit d’explorer la relation entre organisation du texte et subjectivité dans la poésie lyrique des poètes occitans à Pétrarque et de mettre en évidence le potentiel perturbateur du désir et de l’éros.
Le projet de recherche a été mené en étroite collaboration avec d’autres universités ou centres de recherche, en particulier l’Université d’Oxford et l’ICI Berlin Institute of Cultural Inquiry. Parmi les diverses activités et publications, nous rappelons la monographie (incluse dans le portfolio) Possibilities of Lyric : Reading Petrarch in dialogue, publiée en volume mais aussi disponible en open-access. Cette monographie, véritablement écrite à quatre mains, examine la poésie de Pétrarque en dialogue avec celle d’autres poètes et montre que la poésie lyrique peut représenter un espace de résistance pour articuler une subjectivité qui ne se laisse pas apprivoiser par les paradigmes normatifs dominants.
Mais nous voudrions également mentionner la collaboration qui a donné lieu à l’Oxford Handbook of Dante, un volume gigantesque de plus de 800 pages, publié dans une prestigieuse série de l’Oxford University Press et qui rassemble les essais de 45 chercheurs internationales (provenant d’Italie, de France, du Royaume-Uni, d’Espagne, de Suisse, des États-Unis et du Canada). Paru en 2021 à l’occasion du sept-centième anniversaire de la mort du poète, le volume vise à déconstruire l’image de Dante en tant qu’auteur monolithique et national et à le proposer plutôt comme un auteur ouvert, transnational et pluriel. Pour présenter la publication du volume, nous avons organisé une série de conférences qui ont dialogué avec la culture amérindienne, la poésie caribéenne et la théorie queer et décoloniale pour montrer la vitalité de Dante au-delà des frontières nationales et disciplinaires. Nous mentionnons également le projet sur le concept d’ouverture dans la culture médiévale qui a été mené en collaboration d’un groupe de médiévistes basé au Somerville College d’Oxford et qui a produit le volume interdisciplinaire Openness in Medieval Europe ; et l’atelier international organisé à Berlin autour d’un essai écrit par le philosophe français Claude Lefort sur l’actualité de la pensé politique de Dante qui, tout comme le livre précédent, a fait l’objet d’une publication en accès libre
On a donc poursuivi une activité de recherche internationale stimulante et génératrice qui vise à proposer de nouveaux paradigmes de pensée et d’étude, et le principal défi qu’elle a rencontré est peut-être celui de s’insérer dans des domaines académiques, comme celui des études médiévales, qui, surtout en France et en Italie, sont encore plutôt conservateurs et enfermés dans leurs traditions disciplinaires. L’objectif pour l’avenir est de continuer dans la direction entreprise, en essayant d’approfondir la perspective comparative et le potentiel critique de la recherche et d’impliquer de plus en plus de chercheurs et chercheuses, d’approches et de perspectives. Par exemple, l’axe a commencé à élaborer un projet sur le statut iconique de la poésie de Pétrarque dans la culture occidentale et sur la façon dont elle a représenté un modèle pour « désirer » différemment pendant les siècles et dans différents pays et continents. Compte tenu de la ligne de recherche développée dans le cadre du séminaire général de l’équipe, il s’agira également d’approfondir la compréhension des échanges qui adviennent au Moyen Âge entre la littérature et les autres savoirs et notamment les sciences. Dans le sillage des réflexions menées dans ce cadre sur le concept de « forme de vie » on s’attachera à approfondir le concept même de forme en le mettant en relation avec celui de « modèle » tel qu’il est appréhendé dans les sciences dures et qui, en tant que tel, pourrait enrichir l’acception qui lui est généralement attribuée dans les sciences humaines.
- Formes et figures de la déviance – amoureuses, littéraires et artistiques, politiques et religieuses… – dans la littérature italienne de la Renaissance (dir. Frédérique Dubard de Gaillarbois)
Pendant la période (2017-2022), les activités scientifiques de l’axe 2 se sont inscrites de manière cohérente dans la ligne de recherche esquissée dans le cadre du projet général de l’équipe. Elles ont porté en très grande partie sur la littérature artistique, au double sens de travaux portant sur les écrits d’artistes – Léonard de Vinci, Michel-Ange, mais aussi les 8 artistes ( G. Vasari, B. Cellini, Tribolo, Francesco da Sangallo, Bastiano del Tasso, Bronzino, Pontormo, M. Buonarroti) de l’anthologie publiée par Benedetto Varchi – mais aussi sur la réception critique des artistes.
L’anthologie qui a été traduite et publiée dans l’édition critique bilingue des Deux leçons, (ouvrage jamais traduit intégralement) a ensuite fait l’objet d’un colloque, qui, s’il n’a pas pu se dérouler du fait du Covid, a donné lieu à la publication d’un volume, comportant 8 essais critiques sur les 8 lettres de l’anthologie. Cette anthologie a le mérite de comprendre le seul texte de réflexion théorique jamais écrit par M. Buonarroti, dont la participation à ce projet collégial reste un épisode aussi mémorable qu’exceptionnel.
La figure de Varchi et le travail accompli autour des Deux leçons sur l’art ; traité du Maniérisme et/ou traité d’esthétique qu’Aristote n’écrivit pas est au cœur de l’activité scientifique déployée pendant ses cinq années, même si la présence des écrits de Léonard de Vinci au programme de l’agrégation (2019-2020) comme celle des comédies de la Renaissance (2021-22) ont été à l’origine de deux journées d’étude, qui ont toutes deux fait l’objet de publication dans des délais exceptionnels, de manière à ce que les agrégatifs puissent profiter de ces travaux.
L’ut pictura poësis et le paragone constituent la base d’une réflexion esthétique qui ne s’est pas limitée à la Renaissance, puisque des prospections ont été faites dans le dix-septième siècles (de Campanella à Malvasia) jusqu’à Gabriele d’Annunzio et même Barbey d’Aurevilly.
Les écritures artistes offrent un exemple paradigmatique de ‘déviance’ linguistique et littéraire dans la pratique plus ou moins assumée d’une forme d’expression subalterne au regard d’une autre forme d’expression qui leur serait propre et où ils excelleraient (la sculpture ou la peinture), elles-mêmes considérées comme inférieures par un canon socio-culturel qui fait l’objet d’une discussion dans la période concernée.
Si Léonard de Vinci était un précurseur, dont l’impact fut retardé par la publication tardive du « libro del disegno », la trattatistique artistique et l’accès à l’écriture des artistes interrogent les rapports entre arts mécaniques et libéraux. De ce point de vue, les écritures artistes s’inscrivent dans la continuité des écritures féminines auxquelles je m’étais intéressée précédemment.
Le traité sur l’infinité d’amour, ouvrage écrit à quatre mains par l’homosexuel Benedetto Varchi et la courtisane Tullia d’Aragona constitue un cas particulièrement intéressant d’écrit ‘normatif’ rédigé par deux ‘déviants ». Ils y théorisent un amour platonique, indépendamment de l’orientation sexuelle des amants, tout en assumant pleinement leur profil sexuel. Une autre forme de déviance pourrait, d’ailleurs, être constituée par la collégialité au regard d’une auctorialité en solo. Cette collaboration a fait l’objet de lectures critiques réductrices, tendant à la nier ou à la déprécier.
Le Michel-Ange de Varchi est déviant au regard d’une certaine norme historiographique dès lors que Varchi n’eut de cesse de revendiquer les qualités de poète et de philosophe pour celui que Vasari et Borghini bornaient au triple artiste (peintre-sculpteur et architecte). Non moins singulier le Léonard de Varchi, dont l’exégète saisit tardivement mais remarquablement les affinités intellectuelles avec Michel-Ange, au rebours d’une tradition historiographique jouant sur la rivalité entre les deux.
Si Michel-Ange, qui sera qualifié de « monstre » dans l’Oraison funèbre écrite par le même Varchi, pourrait apparaître comme un concentré de déviance ( moins sexuelle que politique, religieuse et artistique), la focalisation sur les artistes dans cette période historique, offre un terrain de réflexion extrêmement stimulant et créatif sur les questions de norme (esthétique, religieuse, sexuelle, linguistique et littéraire…), permettant de très salutaires croisements et dialogues avec les autres axes (et périodes) d’ELCI.
La parution en 2023 de l’édition bilingue de l’Oraison funèbre de Michel-Ange par Benedetto Varchi s’inscrit dans la continuité directe de l’axe porté au sein d’ELCI. L’Oraison funèbre n’est autre qu’une troisième Vie de Michel-Ange, après celle de Vasari (1550) et celle d’Ascanio Condivi (1554). Du point de vue de la littérature artistique, elle constitue le point d’aboutissement de la réflexion esthétique de Varchi. Avec les Deux leçons sur l’art, l’Oraison funèbre forme un diptyque : les deux pans de l’esthétique varchienne. Quant à la mort de Michel-Ange, elle semble mettre en scène la transition du Maniérisme au Baroque.
Dans les années à venir, on entend prolonger cet axe de réflexion dans une triple direction : dix-septiémiste, philogyne et scientifique. Une communication consacrée à deux incidences esthétiques des découvertes galiléennes, présentée en janvier 2023 dans le cadre du séminaire général ELCI ‑ Due proposte sull’impatto estetico delle scoperte galileiane al confine tra scienza ed arte: Claude Mellan (1598-1688) e Giovanna Garzoni (1600-1670) ‑ a permis de mettre en évidence à quel point l’illustration scientifique, plus précisément botanique, permettait de faire la jonction entre science, art et participation féminine.
Le paragone, de par sa flexibilité et mutabilité, offre une grille de traversée des différents champs disciplinaires aussi riche que probante.
Un autre chantier concernera l’iconographie machiavélienne : une problématique à la frontière entre littérature et art, puisqu’il s’agira d’explorer la manière dont l’image véhicule du machiavélisme. Un premier ouvrage ( A. Campi, F. Dubard, « Machiavel imaginaire. Histoires d’un cliché », parution prévue pour mai 2023) a été consacré à ce qui constitue un nouveau champ des études machiavéliennes ou à la variante iconographique du machiavélisme, au sens de l’histoire de la réception de Machiavel, de ses œuvres et de sa pensée. Cet ouvrage résulte d’une réflexion conduite depuis des années dans le cadre de séminaires de masters. D’anciens mastérants et doctorants d’Elci ont été associés.
On s’interrogera sur la manière dont Machiavel est représenté, mais aussi sur la manière dont son image est utilisée dans la presse, les réseaux sociaux, la culture populaire. L’idée étant moins de déplorer un tel phénomène que de saluer la plasticité du machiavélisme, susceptible de s’adapter à des siècles, idées et médias différents.
- Dramaturgies italiennes (Dir. Andrea Fabiano)
Au cours du dernier contrat quinquennal, l’axe de recherche « Dramaturgies italiennes » a continué son exploration de la condition des hommes et des femmes de théâtre ainsi que de la circulation européenne des dramaturgies italiennes. L’action la plus importante s’est concentrée sur la confrontation des hommes et des femmes migrants de l’Italie à la France et rentrant en contact avec des nouveaux espaces d’expériences et des nouveaux horizons d’attente. Cette focalisation a permis de faire émerger le rapport que le théâtre entretien avec le pouvoir politique et culturel dominant, de quelle manière le savoir et l’être des comédiens migrants peuvent dialoguer de manière en même temps constructive et oppositive, dans un entre-les-deux, révélateur des modalités de métabolisation des canons artistiques. Nous avons continué également la réflexion sur le rire et sur le comique par rapport à une tradition poétique fondée sur le contrôle social des corps, sur la « catégorie italienne » d’improvisation et de commedia dell’arte par rapport à la tradition de l’autorialité, sur la stratégie de l’hybridation dramaturgique par rapport aux règles dramatiques classiques. Ce travail a donné lieu à plusieurs publications des membres de l’équipe, doctorants et jeunes chercheurs, chercheurs rattachés et à un séminaire de recherche pluriannuelle, « ThéParis », en collaboration avec le Centre de Musique Baroque de Versailles et l’Université Côte d’Azur.
Une attention particulière a été portée aux rapports entre le théâtre et la mémoire et de quelle manière la scène italienne devient l’espace pour construire une mémoire culturelle partagée et une identité nationale. Dans ce cadre s’insère aussi le projet scientifique interdisciplinaire « Dante et les arts » réalisé en collaboration avec l’Université de Turin et l’Université Côte d’Azur ainsi qu’avec la Fondation Artea de Coni.
Le recrutement d’un MCF spécialiste du théâtre italien moderne, indispensable au développement des activités de cet axe n’ayant pas été obtenu malgré la volonté de Sorbonne Université de faire du champs des études théâtrales un axe prioritaire innovant, le travail scientifique a été mené surtout par le responsable de l’axe, les doctorants, les jeunes chercheurs et les chercheurs rattachés à titre secondaire avec quelques interventions ponctuelles d’autres membres de l’équipe. Cette situation a conduit le responsable de l’axe à réaliser une collaboration interdisciplinaire plus intense dans le cadre du programme scientifique « Initiative Théâtre » de l’Alliance Sorbonne Université (journées d’études, colloques, publications), à intensifier la participation à des projets de réseau internationaux (« ARPREGO » avec l’Université de Saint-Jacques de Compostelle sur la dramaturgie prégoldonienne, « Hybride Gattungen – proteische Figuren. Europäisches Drama der Frühen Neuzeit » avec l’Université de Stuttgart ; « La drammaturgia musicale a Venezia (1678-1792) » avec la Fondation Levi de Venise) et à essayer d’élargir la mobilisation autour de l’axe grâce à la participation à 3 appels d’offre européens et à 1 appel d’offre « Émergence » de Sorbonne Université.
Dans ce contexte de ressources humaines limitées, la trajectoire de l’axe de recherche ne pourra qu’être celle réalisable par l’intégration à des structures et à des programmes interdisciplinaires dans le cadre de Sorbonne Université ou par des collaborations internationales. En particulier, l’obtention du financement « Émergence » de SU permettrait de réaliser une base de donnée du répertoire du théâtre de la Comédie-Italienne au XVIIIe siècle en collaboration avec l’équipe projet ObTIC de l’Institut SCAI et de conclure ainsi les recherches innovantes conduites par ELCI depuis plusieurs années sur l’implantations des comédiens italiens en France dans la période de l’Ancien Régime. Par ailleurs, l’objectif final serait de présenter un projet ANR afin de construire un portail commun et rendre interopérables les bases des données sur les théâtres d’Ancien Régime construites par plusieurs équipes de Sorbonne Université (Registres de la Comédie-Française, Chronopéra, Revolutionary Opéra-Comique, Comédie-Italienne). Toujours dans cet esprit, l’axe Dramaturgies italiennes a rejoint le pôle « Lumières », une structure qui regroupe plusieurs unité de recherche de SU pour une approche comparatiste et interdisciplinaire de la culture européenne des XVII et XVIII siècles. Une attention particulière sera également réservée aux AAP lancés dans le cadre du programme SOUND (SOrbonne University for a New Deal) et du flagship 2 du programme 4EU+ Europeanness: multilingualism, pluralities, citizenship.
Un nouveau parcours de recherche pour le prochain quinquennal se construira en collaboration avec l’Université de Milan, membre de notre Alliance 4Eu+, afin d’étudier la circulation des hommes et des femmes de théâtre ainsi que des répertoires entre France et Italie de l’époque napoléonienne à la Belle-Époque. Il s’agira aussi de prolonger chronologiquement l’exploration scientifique que l’équipe a réalisée sur la première époque moderne, XVIIe et XVIIIe siècles.
Enfin, un dernier parcours de recherche interdisciplinaire concernera les relations entre théâtre et médicine psychiatrique au XIXe siècle, avec une attention particulière à la mise en scène et à la mise en récit du corps des femmes.
- Ruptures et hybridations dans la culture italienne contemporaine. Pour une généalogie de la « Bioesthétique ». (dir. Davide Luglio)
Au cours du dernier quinquennal, l’axe Ruptures et hybridations… a globalement appréhendé la manière dont l’art et plus particulièrement la littérature et le cinéma ont développé des stratégies pour accompagner ou bien pour déjouer les dispositifs de pouvoir et leur portée normalisante du XIXe au XXIe siècles. L’intégration, au début du précédent contrat, de Valeria Giannetti dans notre UR a permis d’enrichir les études consacrées au XIXe siècle avec ses travaux sur Ippolito Nievo et Manzoni (cfr. les travaux cités précédemment et la monographie incluse dans le portfolio). Manzoni étant, par ailleurs, au centre des recherches d’Aurélie Gendrat-Claudel qui a quitté notre UR à la fin de l’année 2021. En raison de leur vision de la littérature comme pratique de compréhension de l’histoire et de construction de la société Nievo et Manzoni, bien que de manière très différente, ont fourni deux perspectives particulièrement fécondes pour aborder cette thématique et l’élargir ensuite vers le XXe siècle (cfr. le volume Les “Fiancés” détournés. Transpositions, parodies et déformations des “Fiancés” de Manzoni du XIXe siècle à nos jours) dans une perspective interdisciplinaire qui a pris notamment en compte l’histoire, les arts figuratifs et la pensée politique. Marguerite Bordry, quant à elle, s’est intéressée au rôle qu’ont pu jouer les « littératures mineures » de la deuxième moitié du XIXe siècle dans cette même perspective esthétique et socio-politique (cfr. la monographie Venises mineures incluse dans le portfolio). Davide Luglio a consacré la plupart de ses recherches à la notion de « bioesthétique » et à sa genèse de la première moitié du XXe siècle à nos jours avec une attention particulière pour les échanges intellectuels entre France et Italie des années 1960 aux années 1980. C’est, en effet, au cours de ces trois décennies et grâce à des figures comme Pasolini, Sciascia, Barthes, Foucault et Deleuze que prend forme une nouvelle idée de résistance intellectuelle dans les arts face à la pluralisation des formes de pouvoir dans le nouveau cadre biopolitique (Cfr. le volume Petrolio 25 anni dopo…inclus dans le portfolio). De son côté, Paolo Desogus a prolongé cette approche entre philosophie et littérature en s’intéressant à la pensée de Gramsci et notamment à son influence dans l’œuvre littéraire et cinématographique de Pasolini (cfr. le volume Laboratorio Pasolini inclus dans le portfolio). Parallèlement, il a élargi ses recherches sur la notion de culture populaire vers l’anthropologie de De Martino et ses influences sur la littérature et le cinéma de la deuxième moitié du XXe siècle.
Dans la continuité du projet entrepris, l’axe continuera d’explorer les rapports entre littérature, formes de pouvoir et formes de vie, dans une perspective interdisciplinaire avec une attention particulière accordée aux éléments documentaires dans leur relation avec l’écriture littéraire. Valeria Giannetti, dans la continuité de ses travaux précédents, envisage d’étudier, dans la « décennie de préparation » (1849-1960), l’intéraction entre les théories sociales et les formes littéraires, afin d’identifier l’apport du débat social et politique dans l’évolution du roman historique vers le roman social. A cette fin, elle se propose d’analyser la réception des théoriciens du socialisme français dans l’œuvre narrative de Nievo, tout d’abord à travers la circulation des œuvres de Proudhon, sans négliger le filtre que représenta, dans ce cadre, la tradition italienne d’études politiques, morales et civiles qui, à travers la pensée républicaine de Machiavel, parvient jusqu’à Mazzini. Une attention particulière sera consacrée aux notions de peuple-nation, d’égalitarisme, de révolution et de progrès. Les différentes étapes de cette recherche ont déjà été esquissées dans le cycle de rencontres organisées par l’Université de Perouse en 2022 et 2023 dans le cadre du PRIN (« Progetti di rilevante interesse nazionale) « Nievo e la cultura letteraria del Risorgimento : contesti, paradigmi, riscritture (1850-1870) » auquel collabore Valeria Giannetti. Marguerite Bordry, qui a été recrutée en 2022 sur un profil scientifique incluant les humanités numériques, entend développer un projet fortement interdisciplinaire ‑ à la croisée de la littérature, des humanités numériques et des humanités médicales – en explorant à travers l’œuvre du psychiatre italien Cesare Lombroso (1835-1909), le regard critique que les sciences portent sur le langage et sur l’expression artistique et, réciproquement, le regard que les arts, et en particulier la littérature, peuvent contribuer à développer à l’égard des récits scientifiques. A travers ce projet, Marguerite Bordry entend appréhender la forme de pouvoir, y compris dans sa portée politique, que revêt la science médicale dans ses interactions avec les imaginaires socio-artistiques et notamment littéraires. L’œuvre de Cesare Lombroso offrant précisément un champ d’étude particulièrement fertile pour les interactions entre science, littérature et formes de pouvoir. Ce projet explorera tout d’abord l’utilisation par Lombroso de sources littéraires pour étayer ses arguments scientifiques, en particulier son recours quasi systématique à des citations d’œuvres appartenant à des genres littéraires et à des époques extrêmement variés. Il examinera ensuite la reprise des théories de Lombroso dans les textes littéraires de son temps, notamment à travers les portraits littéraires de criminels et de brigands. Les méthodologies des humanités numériques offrent des ressources précieuses pour ce type d’étude, qui vise à ne pas se limiter à des œuvres uniques, comme cela a été fait jusqu’à présent, mais plutôt à élargir l’étude au corpus le plus large possible, puisque les publications scientifiques de Cesare Lombroso sont maintenant largement disponibles dans des formats numériques. C’est dans le cadre de cette recherche que Marguerite Bordry a répondu à l’AAP « Emergence » en déposant un projet intitulé « Cesare Lombroso, between medicine and Literature ».
Davide Luglio se propose de prolonger ses recherches sur les rapports entre littérature et biopolitique en interrogeant l’évolution de la notion d’engagement à partir des années 1960 lorsque la figure traditionnelle de l’écrivain engagé entre en crise. Pendant cette période de crise, l’écrivain engagé, intéressé par la relation entre la vérité et le pouvoir, a recours à des “documents” dans son écriture (actes judiciaires et administratifs, sources d’archives publiques et privées, médias photographiques et audiovisuels, lettres) pour donner de l’autorité à sa propre parole. La recherche de Davide Luglio vise à explorer les formes à travers lesquelles le document est exploité par l’écrivain-intellectuel pour produire une littérature qui intervient de manière critique et avec autorité dans le débat public. Si les rapports entre histoire et littérature, entre document et récit de fiction, ont été débattus par la critique, il manque une étude qui prenne en compte l’importance du document dans la production littéraire à partir des années 1960. Cette recherche se concentrera d’une part sur la période 1960-1980 autour de quelques figures d’écrivain particulièrement significatives dans la perspective adoptée, comme celle de Sciascia, ou encore de Pasolini et de Fortini. Cela conduira à approfondir l’analyse des échanges intellectuels que ces auteurs ont eus avec des théoriciens et des philosophes français qui pratiquent l’usage du document et de l’archive comme Barthes, Foucault et Derrida. Le projet déjà entrepris sur « Sciascia et la France » s’inscrit dans ce cadre, ainsi que le projet « Engagement in Literature: Leonardo Sciascia and the Literary Use of Documents » déposé en réponse à l’AAP « Emergence ». D’autre part, la recherche s’intéressera à l’évolution de la place accordée au document en littérature jusqu’à nos jours. Comme le constatent Bloomfield et Zenetti dans Usages du document en littérature (2012) on assiste ces dernières décennies à un regain d’intérêt pour les différents usages du document en littérature en tant que pratique interdisciplinaire. Ils émettent l’hypothèse de l’existence d’une « troisième ère du document », par opposition aux deux siècles précédents (XIXe-XXe siècles) qui ont affirmé sa valeur de preuve ou, au contraire, remis en cause son objectivité : ” Si l’on part de l’hypothèse selon laquelle celui qui s’empare du document y laisse son empreinte, quelle empreinte la littérature et les études littéraires impriment-elles sur le document ? Et inversement qu’est-ce que l’entrée dans une ère d’interrogation et de mise en question du document modifie dans le domaine de la création littéraire et dans celui des études littéraires ?”. Les recherches sur la littérature des années 2000 pourront aider à apporter des éléments de réponse à ces questions.
Paolo Desogus prolongera cette étude en direction de la production cinématographique italienne, en particulier le cinéma politique et engagé qui a émergé dans les années 1960 et 1970 (Francesco Rosi, Elio Petri, Bellocchio, les frères Taviani, Gillo Pontecorvo). Dans leurs œuvres ces cinéastes ne se contentent plus du réalisme et de la représentation documentaire des conflits sociaux, caractéristique du cinéma italien antérieur, mais, au contraire, ils remettent en question l’hypothèse néo-réaliste qui identifie réalité et vérité. Dans une perspective sémiotique, le premier objectif de cette étude sera donc d’analyser les choix linguistiques et stylistiques employés par les réalisateurs italiens pour transformer le support visuel en un instrument capable de démasquer le réel, de révéler ses intrigues cachées et de déconstruire ses déterminations idéologiques. Dans cette optique, la recherche étendra également son champ d’investigation aux formes et aux modalités selon lesquelles le cinéma politique des années 1960 et 1970 a influencé la production italienne des années suivantes. En particulier, dans la seconde moitié des années 1990, après une brève phase de déclin et de réaction, le cinéma italien a récupéré le lien linguistique entre esthétique et politique. Cela grâce notamment à une nouvelle génération de cinéastes (Amelio, Mazzacurati, Giordana, Garrone) dont l’approche s’est ensuite consolidée dans les années 2000 avec une production qui a développé la recherche sur le documentaire, grâce à des auteurs tels que Marcello, Gianfranco Rosi et Segre.
La dimension documentaire est par ailleurs présente aussi dans la récente production littéraire et cinématographique qui prend en charge la question du changement climatique. Cette production artistique et la relative approche critique ont déjà fait l’objet de travaux (cfr., par exemple, D. Luglio, La littérature à l’âge de l’anthropocène : les enjeux d’un nouveau récit de la réalité), de participations à des manifestations scientifiques (cfr. le colloque Terrestri, à Naples en 2019) et de collaborations internationales (réseau de recherche « Cantiere dell’Antropocene » organisé par C. Benedetti et C. Savettieri à l’Université de Pise). Au sein même de Sorbonne Université l’ELCI collabore avec l’ITE (Institut pour la Transition Environementale) et dans ce cadre une doctorante, Lucia della Fontana, inscrite sous la direction de D. Luglio co-organise actuellement un colloque pour fin 2023. L’Eco-critique et la littérature liée à la crise climatique constituent donc une perspective de recherche qui sera développée lors du prochain contrat notamment par des réponses à AAP dans le cadre du flagship 2 du programme européen 4EU+ Europeanness: multilingualism, pluralities, citizenship et du programme SOUND (SOrbonne University for a New Deal).